Rentrer seule le soir

Vendredi soir, je suis rentrée tard chez moi. Il faisait nuit. J’habite désormais dans un quartier résidentiel où j’ai pour voisins des familles ou des personnes ayant bien entamées leurs retraites… Donc aux alentours de minuit il n’y avait pas grand monde dans la rue. Et le premier réflexe que j’ai eu en sortant du bus a été d’enlever mes écouteurs et de prendre dans mes mains les clés dans la poche de mon manteau. Et vous savez quoi ? Je ne me rappelle plus la dernière fois que j’ai eu ce « réflexe », mais il est revenu comme ça, sans crier gare.

En arrivant à la maison, je me suis posée la question si un homme, avait lui aussi, ce genre de comportement quand il rentrait seul chez lui le soir, ou bien si ce n’était réservé qu’à nous les femmes ? Et je ne prends aucun risque à établir tout de suite une généralité en employant le terme « nous » car je sais que cela ne fait aucun doute que nous soyons toutes concernées, car malheureusement les exceptions n’existent pas dans ce cas précis.

Quand est-ce que cela a commencé pour vous ? A quel âge ? Ce calcul d’heure pour rentrer chez vous pour choper le dernier train, bus, métro ? Ces demandes d’être raccompagnée ou encore ces mini « armes » dans le sac ou dans les poches de vos vestes/manteaux « au cas où » ? A la formation de vos seins, de vos fesses ? A l’âge rebelle où on veut rentrer de plus en plus tard à la maison ? Ou une fois arrivée dans une grande ville pendant vos études ?

Pour mon cas, c’était assez tôt, aux alentours des 12-13 ans, j’étais en classe de 5ème. Un évènement m’a fait ressentir le danger pour la première fois. Et là, mon monde a basculé.

Banale histoire du dimanche après-midi où des copains étaient venus me chercher chez moi pour « sortir » dans notre petite ville de campagne de banlieue parisienne et où au moment de rentrer chez nous, ils avaient décidé « pour une fois » de ne pas nous raccompagner moi et mon amie. Et sur le chemin du retour, peut être à 300 m de mon immeuble, un homme dans une voiture s’est arrêté, l’engin à l’air entrain de l’asticoter, nous disant qu’il était perdu et qu’il avait besoin « d’aide ». Je n’avais pas tout de suite vu que son engin était dehors, et quand je lui ai répondu, j’ai senti mon amie tiré mon bras en arrière. Des voitures arrivaient derrière, et le pervers a dû redémarrer et repartir bredouille. Nous avons ensuite couru jusqu’à chez nous tout en pestant que les garçons ne nous avaient pas raccompagnés cet après-midi là..

Et cette histoire fût enterrée. Nous n’avons pas dit un mot à nos familles respectives et la vie a continué son cours. Pourquoi ? Je me souviens avoir ressenti un sentiment de « honte », de « responsabilité », un peu comme ce que racontent ces femmes qui se sont fait violer, agresser, abuser.

Je me souviens qu’adolescente, j’avais des conversations avec des copines comme quoi nous ne mettrions jamais de décolletés pour éviter toute agression, mais des sous-pull été comme hiver… Ou que certaines d’entre nous refusaient de prendre le train ou le bus seule. Pour ma part quand je n’avais pas le choix, mon cœur battait la chamade et je ne respirais qu’une fois en sortant du train ou du bus, arrivée à destination.

A l’âge adulte, en revenant vivre en région parisienne, le premier truc qu’on m’a offert était une petite bombe lacrymo à mettre dans mon sac. Cadeau de protection, lourd de sens.

J’ai également beaucoup voyagé seule, aventureuse oui, mais pas téméraire. Suivant où j’étais, je ne sortais pas la nuit ou je ne buvais pas d’alcool le soir pour être complètement consciente de ce qui se passait autour de moi.

Aujourd’hui en Suisse, je ne me suis jamais sentie aussi en sécurité. En 7 ans, j’ai été une fois embêtée, mais nous étions deux. Être deux ça « aide », ça « dissuade ». Je vivais avant en centre-ville et je rentrais constamment à pied et non-accompagnée. La seule chose qui persistait et que je trouvais parfois ridicule c’était d’écrire aux personnes avec qui j’avais été que j’étais bien rentrée.

En fait ce n’est pas ridicule. C’est juste du bon sens et de la protection.

Mais…  Je me rends compte que nous sommes vraiment conditionnées. « Rentrer seule le soir » est un exemple parmi d’autres. Suivant nos expériences, nous sommes conditionnées par nos peurs. Nous nous limitons à ne pas prendre de risques (ou peu) et nous n’allons pas là où les hommes n’hésitent pas à aller une seule seconde : s’investir dans le sport, demander une augmentation, devenir responsable de service, mettre sa carrière en premier, rentrer seul le soir à pied complètement bourré, etc.  Nous prenons ce qu’on nous donne, mais nous n’allons pas forcément chercher ce que nous voulons vraiment.

Nous devons prendre conscience de ce conditionnement et nous en défaire mais surtout prendre conscience de notre valeur. L’égalité passe par là aussi. Nous valons tout autant sinon plus qu’un homme. La peur ne doit plus être le levier de nos actions, mais seulement nos envies et nos désirs.  Les barrières sont présentes, et quand nous voulons les franchir, nous rencontrons souvent des blocages, des refus, des retours à la case départ. Mais nous ne devons pas nous décourager et devons continuer à nous battre. Nous incarnons le changement, et le changement n’arrive jamais sans difficulté.

Rentrer chez nous le soir nous fera toujours un peu peur, mais pour le reste, nous devons désormais y aller, et sans hésiter.  

Racontez-nous, racontez-moi.

A bientôt 😉

5 commentaires sur “Rentrer seule le soir

  1. Bonjour,
    Ce texte me parle! Je me souviens de la première fois où je suis rentrée chez moi mon trousseau de clés à la main. Jeune étudiante, dans une nouvelle ville. Je me souviens aussi, à 15 ans, à l’arrêt de bus un mercredi midi de septembre 2001, le gars dans sa bagnole le sexe à l’air. Je me suis mise derrière l’arrêt de bus pour ne pas le voir mais je l’entendais m’appeler. Puis, un bus rempli de militaires est arrivé et le père d’un copain et descendu. Je suis allée vers lui et la voiture est partie. Je ne lui ai pas dit ce qui venait de se passer, je n’en ai pas non plus parlé à mes parents. J’avais honte. Je me souviens aussi que je portais une jupe. On était pourtant à 50 m d’un collège et je n’ai réalisé que récemment qu’il aurait été de mon devoir de porter plainte. Je suis chanceuse, je n’ai jamais vécu aucune agression depuis ou bien, comme vous l’avez écrit, je me suis privée d’une certaine liberté pour ne pas me retrouver dans ce type de situation. J’ai été tellement fière de ma fille de 6 ans quand elle est venue me dire qu’un petit garçon avait voulu la forcer à baisser son pantalon. Horrifiée, mais fière d’elle pour avoir déjà compris que ce ne serait JAMAIS sa faute.

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