Cette semaine ma petite cousine, américano-coréenne, vivant aux Etats-Unis, m’a envoyée un article du New York Times concernant les méthodes d’apprentissage « qui produisaient des lecteurs », en France. La Finlande et la France étaient mentionnées comme les États les plus performants en matière d’apprentissage de la lecture aux enfants et je me suis étonnée que la France fasse partie de ce podium, ce que j’ai partagé avec ma cousine. Elle m’a répondu que c’était exactement pour cela qu’elle m’avait envoyé cet article car « mes deux pays » y étaient cités, que cela n’arrivait jamais, et que je possédais les deux meilleures parties du monde (« You have both of best worlds !»). Je l’ai remerciée tout en lui spécifiant que c’était désormais en théorie, que j’avais beau avoir les deux passeports, je ne vivais ni en France ni en Finlande depuis près d’une décennie. Mais par conséquent, j’espérais que l’éducation suisse, sans être obligatoirement sur le podium, soit listée parmi les meilleures du monde… Puis ce matin, j’ai relu l’article plus attentivement car je ne comprenais vraiment pas en quoi la France (pardon…) était sur le haut du podium en matière d’éducation nationale au même titre que la Finlande, et j’ai réalisé que l’article faisait partie des Archives du New York Times et qu’il était daté de 1993 ! Tout s’expliquait…
La question de l’appartenance à un pays s’est toujours plus ou moins posée à moi. D’abord car j’ai grandi entre deux pays, deux langues, deux appartements, mais que depuis quelques années, un troisième s’y est ajouté.
En termes de langages, je parle finnois et français. Mais lorsque je suis en France ou en Finlande, on me dit dorénavant que j’ai un accent. Ni vraiment française, ni vraiment finlandaise…

Pas plus tard que la semaine dernière je suis allée passer quelques jours dans le sud de la France et à chaque fois que j’arrivais dans un nouvel hébergement on me disait que j’avais un accent à couper au couteau. Moi ? Un accent ? Vraiment ?… Puis la question qui suivait était : « Et vous vivez où en Suisse exactement ? ».
Puis toute la semaine, de petites choses se sont ajoutées à ce sentiment que je n’étais plus forcément à ma place en France :
- je ne me sentais pas concernée par le débat sur les retraites ;
- je ne savais pas quelle essence mettre dans ma voiture (est-ce que l’E10 allait bousiller mon moteur ?) ;
- j’avais l’impression de risquer ma vie à chaque fois que je rentrais dans un rond-point ou qu’on me dépassait par la droite (véridique, mais je précise que j’étais dans le Var) ;
- et je m’étonnais des prix pratiqués dans les supermarchés et restaurants en me demandant : Comment les Français arrivent-ils désormais pour vivre correctement à ces prix?
Déconnectée, vous me direz ? Complètement. Mais c’est tout de même le pays dans lequel j’ai grandi et passé près de vingt-cinq années de ma vie. Comme si j’étais désormais une étrangère, mais en règle avec ses papiers.
Concernant « mon autre pays », la Finlande, il y a quelques semaines, j’ai reçu par la poste des instructions afin de pouvoir voter aux élections législatives finlandaises qui ont eu lieu le 2 avril 2023. J’étais contente mais aussi désemparée. Contente d’avoir le droit de voter mais désemparée car ne suivant que ponctuellement les affaires politiques du pays…

Je savais juste que la première ministre, Sanna Marin, très novatrice, efficace, proche de la population et ayant géré la crise du COVID d’une main de maître(sse?), avait été victime d’un scandale sur les réseaux sociaux il y a quelques mois. J’étais justement en Finlande lorsque le scandale a éclaté l’été dernier et j’ai vu ses multiples discours, sa gorge serrée et les larmes aux yeux, devant se justifier d’être jeune et de faire la fête comme toute autre personne normale sur son temps libre… Elle était allée jusqu’à faire un test anti-drogue pour prouver son innocence. Eh bien, sans trop de surprise, son parti a perdu les élections et elle est donc parti du gouvernement. Et de mon côté je n’ai pas voté par manque de connaissances et donc de légitimité. Cependant, je vote pour les élections françaises…

Et la Suisse ? Je ne peux pas (encore) voter en Suisse mais je vais faire une demande de passeport cette année. Lorsque j’ai demandé quelles étaient les conditions pour que j’obtienne la nationalité, je suis devenue livide. La demande de nationalité est un véritable examen avec une épreuve écrite et une épreuve orale. L’épreuve orale comprenant notamment une argumentation sur différentes votations qui ont eu lieu en Suisse… Alors je me suis mise à faire quoi ces derniers mois ? Suivre plus précisément tout ce qu’il se passait en Suisse en général via les réseaux sociaux et le journal de la RTS, par peur d’un manque de légitimité de nouveau…
La Suisse, la France et la Finlande : avoir vécu dans ces trois pays, mais n’appartenir à aucun d’entre eux. Pouvoir (bientôt) voter dans chacun d’entre eux, mais n’ayant pas le temps de suivre ce qu’il se passe dans chaque pays. Prendre le bon, rejeter le mauvais et avoir un esprit critique pour presque tout. Suivant les interlocuteurs cela peut devenir chiant ou pas (lorsqu’ils sont des gens un peu comme moi). Je prends peut-être plus facilement du recul, car j’ai toujours de quoi comparer n’importe quelle situation. Mais cela veut aussi dire que je ne me sens jamais vraiment à ma place non plus. Je vais pourtant un moment, devoir choisir, non?
J’ai des amis et collègues, qui eux, vivent en Suisse depuis longtemps, mais savent déjà qu’ils repartiront dans leurs pays respectifs quand ils seront plus âgés et ont donc acheté/construit des biens au Portugal, Philippines, Espagne, France… C’est clair dans leur tête et dans leur cœur, ils retourneront un jour « chez eux » et pour de bon. Comment peuvent-ils être aussi sûrs?
Être apatride est un terme sûrement trop fort pour désigner mon manque de sentiment d’appartenance à une nation précise. En revanche, j’observe avec le temps, que ce besoin d’appartenance a une collectivité grandit. Durant mes premières années en Suisse, j’ai connu beaucoup de personnes de passage, au travail et dans mon cercle amical. Après quelques mois, deux ou trois années, chacune rentrait « chez elle » ou bien repartait pour d’autres aventures. Je constate désormais que mon cercle amical a changé depuis ce temps, et qu’aucun d’entre nous ne souhaite partir (pour le moment) ailleurs, et moi la première. Donc peut-être que mon « chez moi » n’est pas l’histoire d’un pays, d’un territoire, mais de faire partie d’un petit groupe de personnes dans lequel je me sens à ma place, avec qui je partage des valeurs, en dépit de nos origines et nationalités et avec qui je souhaite évoluer et partager les prochaines années de ma vie.
Et vous ? Je sais que vous êtes nombreux à ne pas vivre dans votre pays d’origine… Comment vous sentez-vous intégré ? Avez-vous envie, un jour, de rentrer là où vous êtes nés?
C’est un sujet très intéressant!
J’ai du mal en général avec cette appartenance. Mais c’est peut-être une question de tempérament. Je me suis sentie plus Irlandaise après 6 ans là-bas que Française, alors que j’ai passé plus de 35 ans de ma vie en France.
En même temps se sentir bien là où l’on est c’est essentiel.
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Je n’ai jamais vécu à plus de 250 km de mon lieu de naissance, et ça en Californie du Sud. Pourtant un jour en 2020, je me suis réveillé et me suis dit « C’est en France où je veux passer le reste de ma vie. » Je comprends bien le sens de ne pas appartenir à « son » pays, mais je dirais en même temps que c’est parce que des Français m’ont « adopté » en même temps que je me sentais que je n’étais plus chez moi. Alors d’accord, les amis ont certainement quelque chose à voir avec l’idée d’où on appartient.
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Idéalement, je me vois passer le restant de mes jours entre les deux pays. J’avais un patron qui passait trois semaines en France puis trois semaines aux Etats Unis, je l’enviais.
Je me suis imaginée vivre six mois en France, six mois aux Etats-Unis où j’ai passé plus de la moitié de ma vie. J’ai envie de rentrer en France, que je ne connais plus, mais je veux voir mes filles, qui elles sont américaines. Mais j’imagine qu’il y a un moment où ce n’est plus possible. J’aime bien ton idée de futur avec une bonne amie.
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Merci pour ton commentaire et ton abonnement 🙂 Oui, je pense qu’un moment il faudra choisir, mais que ce moment dépend de chacun.e. Pour ma part « mes pays » sont proches des uns des autres donc ca va ! Mais les allers/retours US/France cela fait un plus gros budget et une plus grosse organisation 🙂
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