Naître fille

Mercredi dernier, le 8 mars 2023, c’était la Journée internationale des droits des femmes, ou Women’s Day, en anglais. Même s’il y a une disparité de traduction pour le nom de cette journée, comprenons bien que cette journée n’est pas une journée pour nous offrir des fleurs (surtout si le reste de l’année vous pensez avoir le droit de nous cogner à la maison), mais bien pour rappeler l’inégalité de nos droits face à ceux des hommes. Ces inégalités sont malheureusement tellement nombreuses et couvrent tellement de domaines…

La semaine dernière, l’ONU a fait part au monde de son rapport : théoriquement l’égalité hommes-femmes ne sera atteinte que dans trois cents ans… Soit dans quatre, voire cinq futures générations! Cela veut dire que si un jour j’ai une fille, elle devra, comme moi, comme ma mère, comme mes grands-mères, descendre encore dans la rue pour pas seulement obtenir plus de droits, mais pour s’assurer que ceux acquis ne seront pas simplement balancés à la poubelle… L’ONU constatait que de forts progrès avaient été faits pendant des décennies, mais que depuis quelques années, les crises (sanitaires, économiques, financières, migratoires) et les conflits se succédant, les droits acquis par les femmes disparaissent sous nos yeux, un peu comme par magie. Non, pas par magie, mais par les forces politiques en place. Les régimes démocratiques sont en net recul au profit de régimes autocratiques, qui prennent la main dans des pays où le droit des femmes, de base, n’est pas le plus développé. Enfin, ce n’est pas une règle générale, car même dans les démocraties les droits des femmes reculent. Mais, je ne vais pas commencer à énumérer les cas d’inégalité en Suisse ou dans le reste du monde, car malheureusement se serait sans fin.

Mercredi, sur mes réseaux, j’ai été inondée de faits et de statistiques sur le droit des femmes qui ont fait sortir une certaine colère en moi. Mon corps a réagi: il avait des frissons, une boule dans le ventre et même parfois l’envie de vomir… J’ai notamment appris ce jour-là, que la Suisse était loin des modèles d’égalité en matière de droits hommes-femmes, des pays développés.

On pense naïvement que là où il y a de l’argent, il y a des droits et de l’égalité, mais c’est faux. Pour exemple : mardi, veille du 8 mars, au travail, nous avons reçu un email de notre Direction. Il mettait à l’honneur la Suisse qui avait légalisé le droit de vote des femmes en 1971 (en comparaison, la Finlande l’avait légalisé en 1906, la France en 1944). Une collègue est venue me préciser le lendemain, qu’il y avait eu un canton, le canton d’Appenzell Rhodes-Intérieures, où le vote cantonal et communal pour les femmes avait était interdit jusqu’en 1990 ! Les femmes peuvent voter dans ce canton que depuis trente-trois ans ! Elles ont obtenu ce vote deux ans après ma naissance… Une aberration !

Personnellement, et pendant longtemps, je ne me suis pas vraiment sentie concernée par mes droits ou plutôt par les interdictions qui existaient pour mon genre. Cela fait un moment que j’ai compris que tout s’était joué dans mon éducation à la maison. Je vivais seule dans un environnement monoparental, avec soit une mère alcoolique-dépressive-sans emploi, soit avec un père-alcoolique-dépressif-sans emploi. Dans ce malheur-là, j’ai eu la chance de n’avoir aucunes limites de fixées.

L’un comme l’autre ne se préoccupait pas de ce que je voulais faire dans la vie, ni des moyens qu’il faillait y mettre (ils n’en avaient aucun). Je pouvais rêver à loisirs de tout ce que je pouvais devenir. Je rêvais de devenir journaliste, de parcourir le monde, comme de travailler dans un orphelinat, devenir critique littéraire ou même de faire de la politique. Bien entendu, à aucun moment je rêvais de me marier ou d’avoir des enfants, car c’était tout le contraire de mon modèle parental. Je me rêvais simplement LIBRE. Je ne mettais donc pas de limites dans les études que je voulais faire, ni l’endroit où j’allais vivre. Je ne me suis pas non plus embarrassée d’un petit copain qui m’aurait coupé dans mon élan. De toute manière la confiance et l’amour avec/pour l’autre étaient cassés du simple fait des relations que j’avais avec mes parents et qu’ils avaient entre eux. Je sortais comme bon me semblait. Vivant à la campagne, j’avais juste conscience de ne pas me balader seule dans la rue le soir. Le ménage, la cuisine, le rangement, les courses, étaient loin d’être une préoccupation quotidienne à la maison, donc la plupart du temps je m’enfermais dans ma chambre pour faire autre chose : écrire, lire, rêver et préparer mon avenir. Je n’avais qu’un objectif : partir et obtenir de l’argent. Je ne me souviens pas avoir eu de questionnement sur le fait d’être une fille et d’avoir moins de possibilités qu’un garçon. Je considérais pouvoir tout faire, il fallait juste que je m’en donne les moyens. Et l’école allait me les donner.

C’est plus tard donc, que j’ai commencé à prendre conscience qu’hommes et femmes nous n’avions par les mêmes droits, opportunités et préoccupations quotidiennes. Cela a commencé quand je me suis retrouvée à vivre seule, lors de mes études supérieures puis sur mes lieux de travail, dans mes relations amicales et amoureuses. Grandir dans un environnement sans conditionnement genré, sans limites en termes de droits et de rêves, m’ont permis de donner à ma vie un sens, qui me correspondait entièrement et me correspond encore aujourd’hui.

L’éducation et l’environnement dans lesquels nous grandissons, sont des facteurs essentiels pour la prise de conscience de nos droits. Enfants devenus adultes, nous reproduisons inconsciemment les modèles de relations que nous avons vécu et vu avec nos parents. Si l’on souhaite que les choses changent, sans avoir à attendre trois siècles, c’est en éduquant les futures générations de filles et de garçons. Regardons en Afghanistan, les talibans ont coupé l’accès à l’éducation de base aux filles; en Iran, des centaines de filles ont été empoisonnées dans des dizaines d’écoles afin de faire fermer ces établissements; au Nigeria ou ailleurs en Afrique, les enfants dans les bidonvilles ne vont pas à l’école et les femmes font de nombreux enfants car c’est leur « seule richesse »… Femmes qui souvent ne connaissent pas les moyens de contraception, n’y ont pas accès ou ne savent tout simplement pas lire… L’éducation est donc la clé.

Mais comparons ce qui est comparable. A notre niveau que pouvons-nous faire ?

La liste est, je le crains, trop longue pour être énumérée ici. Mais sans avoir à donner de conseils précis, le principal est d’agir au quotidien. Parlons-nous, soutenons-nous, éduquons-nous, unissons-nous, partageons, écrivons, manifestons, trouvons des solutions ensemble pour que les choses changent déjà à notre niveau. Cet effet de masse pourrait avoir un jour, un réel impact plus haut, là où nos droits sont débattus par des hommes qui n’ont absolument aucune idée de ce que signifie réellement de naître fille.

2 commentaires sur “Naître fille

  1. Je te rejoins en un sens, sur l’éducation, les modèles, l’ouverture.
    Oui les droits des femmes dans le monde sont bafoués, trop souvent, encore.
    Mais c’est un débat qui est compliqué pour moi car au quotidien, ce que je vois, c’est que finalement la discrimination se fait dans l’autre sens aussi.
    On s’insurge contre les mutilations féminines mais on ne parle pas des masculines, on ne dénonce jamais la violence conjugale envers les hommes, on ne se lève pas contre les lois qui embrigadent des petits garçons dans l’armée et on ne dit rien quant aux mariages forcés de jeunes hommes
    Il faudrait réussir le pari fou de ne pas se référer au genre et voir chaque homme et femme comme un être humain – point.
    Mais bon le monde en est-il seulement capable?

    Aimé par 1 personne

    1. C’est tout à fait juste, les discriminations se font dans l’autre sens aussi, mais on n’en parle peu/pas…. Des progrès sont faits en ce sens mais ce n’est malheureusement pas encore pour demain 😦 . Je pense qu’il y a pour beaucoup d’hommes une sorte de loi du silence pour ce genre de violences et discriminations, comme chez les femmes, il y a encore quelques temps… Le patriarcat est remis en cause depuis seulement quelques décennies, donc il faudra encore plus de temps pour que nous vivions dans un monde traitant chaque être humain comme il se doit et sans référence au genre… Merci pour ton commentaire!

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