Un phénomène étrange est arrivé lors de mon petit séjour en Finlande il y a quelques semaines. Pour la première fois de ma vie, mon appartement ainsi que ma vie à Genève me manquaient. Pour la première fois de ma vie, j’avais envie de RENTRER alors que j’étais là où je considérais être comme chez moi, un endroit où je me sens en sécurité et que je connais depuis mes premiers pas ou presque. Il n’y avait à ce moment-là ni crise, ni maladie, ni personne à enterrer ou encore de sentiment de culpabilité. Alors c’était quoi ?
Il faut savoir que dès que je me suis envolée de mes propres ailes et que mes finances me l’ont permis, je mettais le moindre sous de côté pour PARTIR. Un rêve de gosse, un rêve d’adolescente frustrée et enfermée dans un appartement avec une mère malade et sans un sous. Je me voyais alors parcourir le monde, découvrir de nouveaux paysages, rencontrer des personnes extraordinaires, manger des plats succulents… Plus jeune on me faisait le reproche de ne « vivre » que pour ces moments-là et non pas pour le quotidien ou le moment présent. Ces amis et collègues ne savaient pas la promesse que je m’étais faite quelques années plus tôt. Cette promesse qui m’a permis au final d’arriver où j’en suis aujourd’hui. Mais je réalise maintenant que c’était mon moyen de fuir, de survivre. Comme le verre d’alcool, le sucré ou le petit shoot de drogue pour d’autres, voyager pour moi allait alors devenir mon addiction.
Inconsciemment et jusqu’à y a un an, je ne me suis jamais investie dans mon logement, l’achat de meubles ou encore mes relations amoureuses, car je devais toujours être prête à faire mes valises. La Suisse me l’a permis, de nombreuses fois, de nombreux week-end et toutes mes vacances cumulées. Jamais une envie de revenir, jamais un manque des personnes que je côtoyais.
Mai 2019, en pleine crise du COVID et avec toutes les remises en question et les changements qui vont avec, je suis rentrée de ma convalescence « forcée » de six semaine en Finlande et j’avais la trouille. J’avais pris une décision : celle de revenir et de m’INSTALLER pour de bon à Genève. Me construire une vie, ici, maintenant, et ne plus partir à tout bout de champs.

Quand je fis part de mes réflexions à ma belle-mère il y a quelques semaines, elle m’a simplement souri et a répondu : « Ma chérie, je pense que pour la première fois de ta vie, tu es en train de te construire une maison. Une maison dans laquelle tu te sens bien et en sécurité. Et quand on a une maison avec l’entourage qui va avec, c’est normal que cela nous manque ».
« Une maison avec l’entourage qui va avec. »
C’est donc cela : s’ancrer, s’enraciner et du coup ne plus avoir des fourmis dans les jambes et vouloir prendre le premier avion dès que l’on voit une promotion Easy Jet. Site où je ne mets d’ailleurs plus les pieds ! Je découvre. Est-ce que je fuyais auparavant ? Peut-être. Ou peut-être que je considérais qu’on m’avait volé tellement d’années de ma vie, qu’il fallait que je rattrape le temps perdu. Que de rester « chez moi » était une perte de temps. Que mes véritables amis étaient ailleurs et pas ici. Que l’argent c’était fait pour des auberges de jeunesse en Asie et pas pour des sacs à main ou des cocktails tous les vendredi. Ou peut être que j’ai passé 30 ans et que mes objectifs changent.
Je suis une expatriée sans vraiment l’être. Mais la Suisse est devenue, avec le temps, le super compromis entre la France et la Finlande.
Je pense donc aujourd’hui à ma famille et mes amis expatriés. Je pensais que nombre d’entre eux allaient rentrer pendant la crise que nous subissons toujours, mais ce n’est pas le cas. Mes cousines à Singapour et Dubaï sont un parfait exemple. Deux ans qu’elles n’ont pas mis les pieds en Finlande où elles auraient les fondations pour une vie meilleure, et refusent de rentrer définitivement malgré un divorce sanglant, des difficultés financières ou encore aucune perspectives d’avenir et leur discours est le même à toutes les deux : « Si je rentre, se serait un échec ». Mais pourquoi ? Peur de perdre la face. Sûrement parce que la société pense qu’on réussit forcément mieux lorsqu’on est à l’étranger ? Et pourtant ils sont combien à rentrer au pays après des décennies d’expatriation, pour retrouver leurs racines ?
Mais hormis le cas de l’expatriation, la vraie vie, elle se passe où ? Est-ce que nos relations essentielles sont devenues virtuelles? Est-ce que cela fait sens de partir ailleurs presque tous les week-end pour « voyager » ? Je me souviens quand j’ai fait mon année de césure en Australie d’un moment marquant: une anglaise, Emma, m’expliquait qu’elle était depuis huit mois en année sabbatique et qu’elle commençait à en avoir marre. Pourquoi ? Parce qu’elle se rendait compte qu’elle faisait toujours les mêmes choses : auberges, restaurants, rencontres… et qu’elle avait perdu le goût de la découverte qu’elle pensait immuable. Je l’avais regardé avec des gros yeux car à ce moment-là je ne faisais que travailler dans les champs 6 jours sur 7 et que j’enviais ses moyens et sa possibilité de ne pas travailler pendant une année entière. Mais maintenant j’ai compris.
Sur mes six semaines de vacances, j’en ai passé trois à la maison, chez moi. Et le temps est passé extrêmement vite. Travailler sur des projets en devenir, voir des amis autour d’apéritifs, de bons déjeuners et dîners, profiter du soleil et continuer d’aménager mon appartement m’ont procuré tant de joie ! Aucune envie et aucun besoin d’aller voir ailleurs si l’herbe était plus verte. Les temps changent. Si un jour on m’avait dit que j’allais vouloir ralentir mes déplacements…
Mais je me pose alors les questions suivantes : notre génération et les suivantes ont du pain sur la planche pour nous construire un semblant d’avenir, est-ce que sauter dans un avion dès que nous aurons l’occasion bénéficiera à la construction de cet avenir que nous souhaitons digne de ce nom ? Est-ce que s’ancrer chez soi au lieu d’aller voir ailleurs sera le défi de demain, pour un avenir plus viable, plus local, plus sain ? Et ces préoccupations ne sont-elles pas celles de quelqu’un vivant dans un pays ultra développé, au chaud chez elle et qui n’a aucune difficulté à finir ses fin de mois ?
A vos crayons (claviers !)
