Depuis l’adolescence je suis spectatrice de la richesse chez les autres. Et quand je parle de richesse, je parle de richesse matérielle. J’étais la seule parmi mes amis à vivre en appartement chez ma mère ou chez mon père. Tous mes amis vivaient dans des maisons plus ou moins grandes avec jardin. Au fil du temps et de la déchéance de ma mère, la moindre dépense était un problème. Les chèques de la Croix Rouge arrivaient plus régulièrement à la maison pour manger et acheter des vêtements et les avis d’expulsion explosaient notre boîte aux lettres. Le chauffage était rarement mis en hiver et j’avais constamment sur moi un duvet qui me tenait chaud dans le salon ou dans ma chambre. Chez mon père, c’était ma grand-mère qui prenait les choses en main. Bien que je dormais dans le salon, il faisait chaud en hiver et il y avait toujours quelque chose dans le frigo. Mon père n’utilisait sa voiture que pendant l’été, vendait ses affaires et récupérait souvent des objets jetés aux ordures par les voisins.
Et pourtant au moment de ma naissance, mes parents avaient tout le confort possible : deux hauts postes en entreprise, une grande maison, deux voitures, des amis tous les week-ends chez nous… Bref, la vie rêvée de la majorité des gens. Des pertes d’emplois, un divorce et des addictions et ils se sont retrouvés à terre très rapidement et pratiquement à la rue.
17 ans après, dans ma vie actuelle, je suis toujours spectatrice de la richesse des autres mais à un autre niveau. A force de temps et d’opportunités, je me construis tranquillement une vie où j’ai un logement décent, de la nourriture dans le frigo et des amis qui me rendent visite régulièrement. Je me vois personnellement comme très riche.
Mais je vis en Suisse, et en Suisse on atteint un tout autre niveau de richesses qu’ailleurs et je suis considérée, je pense, comme faisant partie « des petites gens », vivant correctement certes, mais devant avoir un œil régulier sur son budget, notamment avec l’augmentation des coûts de la vie de ces derniers mois.
Je suis devenue donc de nouveau spectatrice d’un train de vie que moi, seule, ne pourra jamais atteindre, au travail comme dans mon entourage amical. Et ce fossé, des fois, me met mal à l’aise. La plupart du temps je m’en fous. Mais certains jours je trouve la situation injuste, d’autres jours j’ai simplement envie de vomir les conversations que j’entends.
A force de discussions, d’observations et de lectures, je constate que la richesse se transmet bel et bien de génération en génération avec ses codes. Que notre système sociétal permet aux riches de se maintenir riches et aux pauvres de rester pauvres, sauf exception. L’exception quant à elle requiert un réseau, de la confiance en soi, du talent, un peu de travail et de la chance.
Le temps c’est de l’argent et sa gestion est le graal pour devenir riche et maintenir sa richesse.
Les personnes haut placées dans les entreprises (souvent des hommes), ont sans exception, toute une armée de personnes autour d’elles qui gèrent et organisent leurs vies quotidiennes : garde d’enfant, femme de ménage, secrétaire etc… Ainsi elles peuvent se consacrer pleinement à leurs vie professionnelle qui leur assure une transmission de connaissances, de richesses et de pouvoirs pour leur famille. Le salaire récolté est tellement important qu’elles peuvent alors en réserver une part à des investissements (achats immobiliers, actions, etc) et assurer ainsi la pérennité de leurs revenus.
De plus le réseau créé au sein de leur vie professionnelle permettra souvent d’ouvrir des portes à leurs enfants sur un simple coup de fil ou sans véritable effort à fournir. Les enfants pourront faire de longues et chères études car les parents auront les moyens de les leur offrir et de les entretenir. Ainsi ils rencontreront déjà leurs futurs collègues au sein de ces écoles et auront une connaissance approfondie du marché du travail qu’ils intègreront souvent à des postes rémunérateurs dès leur entrée dans la vie active et grâce à leur réseau. Mais ce cas vaut si l’on est un homme, car la donne change si l’on est une femme.
C’est une réalité malheureusement avérée, à poste égal, une femme gagne moins qu’un homme, que l’on vienne d’un milieu aisé ou non. En Suisse on parle quand même de 20% de moins. Dès l’entrée dans la vie professionnelle on constate un écart de salaire de 7% qui s’amplifie après l’arrivée d’un premier enfant. Donc par défaut, le seul fait de faire partie du sexe féminin, nous met dans une position inférieure matériellement parlant. Mais les femmes venant de milieux aisés rencontrent la plupart du temps un partenaire du même milieu et décident de ne pas avoir à travailler. Elles ont alors la chance d’avoir ce choix.
Quant aux personnes qui gèrent le quotidien de ces gens hauts placés (souvent des femmes), elles obtiennent pour leurs tâches dévalorisées, un salaire de misère ou le font gratuitement (compagne, mère des enfants) ce qui les maintiennent dans une fragilité financière pour elles et leurs familles sans grande possibilité d’évoluer. Le salaire touché est tellement bas que le moindre extra est réservé à l’épargne. Leurs enfants vont dans des écoles publiques et s’ils ont la chance de faire des études, sont dans l’obligation de trouver un travail à côté pour vivre. Leurs études sont souvent écourtées par le besoin de travailler et ils intègrent alors (ou pas) des entreprises sur des postes à bas salaire pour commencer.
Sans aller dans les extrêmes, il n’est pas impossible de passer d’une classe sociale à une autre, mais forcée de constater que l’enrichissement se fait plus lentement et plus durement si l’on naît dans un foyer où il n’y a pas d’argent. Tout est une question d’attribution de cartes à la naissance.
Enfin, par défaut, l’être humain a tendance à reproduire inconsciemment ce qu’il connaît : les comportements, les codes, les connaissances, le cadre de vie etc. Donc naturellement, les personnes provenant d’un milieu aisé vont reproduire les mêmes comportements que leurs parents (cercle vertueux) et il en sera de même pour les personnes moins aisées (cercle vicieux). Par exemple, la personne riche n’aura jamais un regard sur le montant des dépenses faites pour la nourriture tandis que la personne pauvre observera de suite que sa salade de midi est passée de CHF 2.90 à CHF 3.50. Ou encore la personne riche aura un comportement égoïste face à l’argent et fera en sorte de gagner toujours plus, ce qu’elle considèrera comme légitime; tandis que la personne pauvre aura tendance à partager avec les autres le peu qu’elle possède, et souvent par peur ou humilité, aura du mal à demander une augmentation de salaire à son employeur (et ce n’est pas comme cela qu’on devient riche !).
Les trois dernières années nous ont montré encore plus que nos modèles de sociétés, malgré les crises, permettent aux riches de s’enrichir et aux pauvres de s’appauvrir. Cependant nous nous retrouvons face à un dilemme de taille et à tous les niveaux : ceux qui ont le pouvoir et les moyens de changer les choses au niveau environnemental, économique, structurel et politique sont aussi ceux qui sont les moins aptes à pouvoir créer les changements nécessaires pour que nos sociétés aillent mieux car ils sont complètement déconnectés de la réalité et ne souhaitent qu’une chose : maintenir ou augmenter leur train de vie. Et ce sont ces mêmes personnes qui nous demandent, à nous, de faire des efforts.
bonjour, comment vas tu? je suis tout à fait d’accord avec toi, hélas. la vie est injuste. passe un bon lundi et à bientôt!
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Même constat chez moi, j’ai d’ailleurs quitté la capitale pour ne plus les voir en me disant que si toutes les petites mains partaient ensemble ils seraient bien embêtés pour gérer leur quotidien… j’ai aussi le souvenir de deux jeunes filles bien nées dans un bus parisien s’expliquant mutuellement les ficelles pour escroquer l’acheteur d’un bien immobilier, hallucinant !
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