Les bibliothèques n’étant toujours pas ouvertes pour emprunter des bouquins, il y a deux semaines, j’ai fait un « plein » en librairie. Après avoir pris les ouvrages recommandés par ma prof pour étudier les différentes structures de récits afin de bien comprendre ce qu’elle nous demandait d’écrire, je me suis perdue dans le rayon des auteur(e)s étranger(e)s. En plus d’étudier, je voulais lire un nouvel auteur(e) de mon propre choix. J’en avais deux, trois dans les mains quand j’ai vu, Le silence d’Isra, d’Etaf Rum qui me faisait de l’œil. En soit, la première de couverture ne m’a pas vraiment interpellée, et je crois même que je n’avais pas compris ce qu’elle représentait aux premiers abords : un dessin de femmes voilées de dos, vêtues de tissus très colorés. Puis je lus la quatrième de couverture et l’histoire me plaisait déjà, puis l’auteure également, née aux Etats-Unis dans une famille d’immigrés palestiniens. Et tiens ? C’est aussi un premier roman. J’adore les premiers romans. Ma bibliothèque en est rempli.
Je l’ai lu la semaine dernière, et je n’ai pas été déçue du voyage. Une véritable merveille.Voici pourquoi.
De quoi cela parle ?
En Palestine, 1990, Isra, 17 ans, essaye tant bien que mal de séduire les prétendants que son père lui présente. Elle aide sa mère à la maison et lit en cachette. Elle doit accomplir son destin de femme en suivant la tradition : devenir une épouse, une mère mais aussi une esclave domestique dans sa belle-famille (cela elle le découvrira plus tard). Adam, la trentaine, un palestinien qui vit en Amérique deviendra son mari après une seule rencontre autour d’un thé. Isra est alors embarquée à New York, Brooklyn, le lendemain de son mariage, vivra au sous-sol de la maison familiale et donnera naissance à quatre filles, une véritable honte pour la famille.
Brooklyn, 2008, Deya, 18 ans, l’ainée d’Isra est en âge à être mariée. Elle vit avec ses sœurs et ses grands-parents et passe son temps à lire, à défaut de pouvoir sortir. Sa grand-mère est déjà en pleine recherche de prétendants. Mais Deya ne veut pas se marier, elle veut aller à l’université. Cette année-là sera décisive pour Deya qui découvrira un secret bien caché de sa famille et qui lui permettra de comprendre son passé, pour se libérer de sa famille et d’avoir foi en son destin de femme. Rien n’est écrit, tout est à créer.
Pourquoi cette histoire interpelle ?
Par quoi commencer ? Avez-vous déjà lu une histoire sur la condition des femmes palestiniennes ? Et bien, ce récit nous en donne un bel aperçu et sans filtres. C’est une histoire de femmes, écrite par une femme, qui a connu ces destins de l’intérieur. Et nous savons bien que les femmes sont les meilleures pour raconter nos histoires…
Elle nous parle du poids des traditions, de l’ancrage patriarcale dans la culture palestinienne, de l’immigration d’une famille dans une toute autre culture, et de ces femmes silencieuses qui portent ces familles. Pour sur(vivre), elles se racontent des histoires pour s’expliquer leur honte, leurs peurs et les coups qu’elles prennent. Tout se justifie, elles sont les seules responsables de leurs sorts, pensent-elles. Dans ce quotidien, elles doivent trouver des échappatoires, pour pouvoir se lever le matin. La lecture en fait partie. Mais elle est considérée comme «dangereuse», car les livres mettent des «histoires dans la tête». Mais la lecture, l’écriture, les mots, ont ce pouvoir de libération de leurs conditions.
Elles pensent ne pas avoir le choix, car leurs parents ne leurs ont pas donné la possibilité d’une autre vie. Et c’est là où l’éducation joue un rôle primordial. Que cela soit pour se déplacer, comprendre le monde, gagner de l’argent ou encore ne pas croire des histoires de mauvais génie ou de démon pour justifier des actes horribles commis au sein d’une même famille.
On pourrait croire dans ces conditions, que les femmes plus âgées, de par leur expérience seraient présentes pour expliquer, aider, conseiller et ne pas destiner leurs propres filles, belles-filles aux mêmes destins. Et bien c’est tout le contraire. L’emprisonnement domestique est normal, le féminicide arrive de temps en temps (et il y a toujours « une bonne raison »), et donner naissance à une fille est une honte… Et c’est là que l’auteure, en plus de suivre Isra et Deya à des époques différentes, nous permet de suivre aussi le personnage de la belle-mère, Farida, pour expliquer sa vie à elle, ses raisonnements, ses peurs, ses choix.
Il est fou de lire, que ces femmes et ces hommes vivent leurs vies par devoir et non par envie. Que cette manière de vivre amène alors la frustration, la violence, l’addiction, le mal-être et la répétition des mêmes horreurs d’une génération après l’autre. Jusqu’à ce que…la génération suivante décide de prendre son propre destin en main, décide de se libérer des traditions qui pèsent sur elle pour entrevoir la possibilité d’un véritable bonheur personnel.
Ah et dernière chose, le titre original de ce fabuleux roman est : « A Woman is No Man ». Ou comment ce titre donne beaucoup plus de sens au contenu de l’ouvrage que le titre traduit, mais ça c’est encore un autre débat. Puis j’ai découvert une nouvelle maison d’édition: Les éditions de l’Observatoire. Maison d’édition qui a pour ambition de publier des livres témoins de notre société.… A suivre.
A lire de toute urgence 🙂 ! Vous me direz.