Comme vous, en cette période inédite, je passe un temps certain devant mes écrans : portable, télé, ordinateur. Etant actuellement dans un environnement familial et loin de ma vie en solo à Genève, nous sommes entrain de nous refaire tous les « classiques » du cinéma depuis maintenant une dizaine de jours : Autant en emporte le vent, Les oiseaux se cachent pour mourir, Sur la route de Madison ou encore Le patient anglais ont été au programme. Des lustres que je n’avais pas vu ces films et l’âge aidant, ils ont suscité d’autres émotions et d’autres intérêts. Entre deux, j’écoute des podcasts et les derniers en date sont les entretiens enregistrés Des couilles sur la table de Victoire Tuaillon avec Iris Brey, journaliste spécialisée sur la représentation du genre au cinéma et qui nous parle de :
Toute seule à la maison pour le petit déjeuner, une fois n’est pas coutume, je suis restée scotchée par cette interview qui me fera regarder toute future série ou film d’une manière différente.
En effet, après un décryptage de la réalité cinématographique d’aujourd’hui sur la surreprésentation des hommes derrière la caméra et la nature des budgets alloués à ces derniers, l’entretien décrypte comment la manière de filmer est genrée. Comment, par conséquent, les images construisent notre imaginaire et nos habitudes de penser en tant que femme et homme et comment la femme, est, dans la majorité des cas objetisée. Mais aussi comment le cinéma arrive à nous faire intégrer consciemment ou inconsciemment des croyances, des comportements, des corps comme des vérités universelles alors qu’au final ils ne sont que l’œuvre d’un esprit qui est le plus souvent celui d’un homme blanc derrière la caméra…
Male gaze, qu’est-ce que c’est ?
Laura Mulvey, sera la première à décrypter ce phénomène de « male gaze » dans son ouvrage Plaisir visuel et cinéma narratif, qui révèle que les images, les dialogues, les intrigues d’Hollywood ne sont presque que de source masculine et où le rôle de la femme est cantonné à celui de l’objet érotisé à quelques rares exceptions. L’homme regarde et agit et la femme est passive et se fait examiner, en rapide résumé.
Exemple cité dans le podcast : le James Bond où l’on voit Halle Berry sortir de l’eau avec un corps parfait (parfait, dans l’imaginaire masculin) est filmé par les jumelles de James (elle est observée et elle ne le sait pas), pour aller ensuite à sa rencontre où elle monte des marches, dévoilant ainsi son corps de haut en bas et petit à petit grâce à cette action. Fantasme masculin associé au plaisir du voyeurisme en l’espace de quelques secondes. Secondes qui ont fait d’ailleurs le tour de la planète à la sortie du film en 2002. Qui prend alors du plaisir dans cette scène? Qui se sent frustrée dans son canapé? …
Comment une femme aurait-elle filmé alors la scène ? Du point de vue d’Halle Berry par exemple, sortant de l’eau, voyant James au loin ou coupant tout simplement cette mise en scène de maillot de bain mouillé et montée de marches sexy? Ce ne sont que des détails, mais des détails qui comptent, qui s’ancrent dans l’imaginaire collectif et qui entraînent toute une manière de pensée masculine et anti-féministe.
L’exemple peut paraître cliché mais il illustre parfaitement le male gaze. Durant l’interview, les journalistes nous invitent à faire attention à certains détails, personnages et situations qui sont plus subtils et moins perceptibles et qui pour le coup font réfléchir…
Female gaze, qu’est-ce que c’est ?
Et bien ce n’est pas le contraire du male gaze, bien que cela aurait pu. Et forcément c’est mieux!… C’est une approche complètement différente de la manière de filmer et de raconter des histoires. Il n’y a pas d’approche idéalisée du corps qu’il soit féminin ou masculin, les personnages se rapprochent plus de la réalité qu’autre chose, avec leurs failles, leurs réflexions, ou encore les plans ne sont pas concentrés sur des parties du corps déjà sur-imagées (comme dans les scènes de sexe où la caméra s’attarde toujours sur le corps féminin et quasiment jamais sur le corps masculin) .…
Comment y arrive-t-on ? Avec plus de femmes derrière les caméras et les scénarios, avec plus d’attribution de gros budgets aux femmes, avec une mise en valeur plus importante des réalisatrices, productrices, scénaristes féminines et surtout avec de la créativité!…Faire du neuf! Les femmes comme les hommes peuvent y arriver car il n’est pas question ici d’objetiser l’homme mais de mettre en valeur l’être humain dans sa nature profonde.
Durant l’interview, Victoire Tuaillon et Iris Brey parlent de Titanic, film à grand succès et qui utilise justement le female gaze. En effet, qui possède l’argent ? Qui a le pouvoir ? Qui désire se faire dessiner nu ? De quel point de vue est raconté l’histoire ? De Rose, interprétée par Kate Winslet. Comment aurait été alors l’histoire de ce film si elle avait été racontée par Jack ? Aurait-il eu le même succès dans les salles ? On ne le saura jamais, mais il est intéressant d’y penser.
Si vous avez donc 1h15 devant vous, écoutez ces podcasts (je vous ai mis les liens un peu plus haut). Personnellement je ne regarderai vraiment plus les films et séries de la même façon. Cela devrait d’ailleurs être un thème enseigné à l’école, non ? Sous quelle matière, je ne sais pas, mais cela aiderait sûrement à changer notre compréhension de l’image et ses effets sur notre esprit et la manière de nous comporter.
A bientôt 🙂