Nouveau départ (1/2)

Manon avait perdu connaissance. Il l’avait poussée. Elle était tombée et sa tête avait heurté le sol. Tout était allé très vite.

Là, en plein milieu de cet aéroport parisien, alors qu’ils venaient d’enregistrer leurs bagages in extrémis pour Londres, il avait encore trouvé le moyen de la bousculer et de s’enfuir. Il avait gueulé, frappé et craché. Craché sur le sol. Comme une bête qui souhaite marquer son territoire avant de l’abandonner.

Manon, les yeux fermés, sentit qu’on lui tapotait sur le visage :

« – Mademoiselle ! Mademoiselle ! s’exclamait une voix masculine.

– Elle respire encore ?  » demandait une autre voix.

Manon les laissa parler un instant avant d’oser ouvrir les yeux. La main qui tapotait son visage s’était arrêtée mais d’autres mains semblaient la secouer sur le sol en lui agrippant ses épaules.

Ses paupières s’ouvrirent alors doucement, comme si elles hésitaient à vouloir revoir la lumière. Comme si elle, son esprit, son âme, avaient peur de mettre des visages sur ses voix étrangères qui semblaient tant s’inquiéter pour elle. Après quelques secondes qui semblèrent une éternité à ce public improvisé, Manon ouvrit entièrement les yeux et elle vit sur elle, trois visages marqués par le soulagement. Il allait falloir qu’elle émette maintenant un son.

L’un des visages lui demanda si elle avait mal quelque part, le deuxième si quelqu’un l’accompagnait et enfin le dernier lui ordonna de ne pas faire de geste brusque mais d’essayer quand même de se relever doucement. C’était trop d’informations. Trop d’information délivrées en l’espace de quelques secondes. Sa tête tournait.

Sur les conseils du dernier, elle entreprit de se mettre debout. Elle sentit des mains sous ses deux bras la soutenir et la dame en face d’elle qui devait avoir l’âge de sa grand-mère lui demanda si ça allait. Manon fit oui de la tête et marmonna qu’il lui fallait juste un instant pour retrouver ses esprits et qu’elle souhaitait s’assoir.

Les deux hommes qui l’avaient aidée à se relever l’emmenèrent alors vers les sièges les plus proches qui étaient un peu éloignés et isolés de là où ils avaient enregistré leurs bagages. Une fois assise, les trois inconnus lui demandèrent une nouvelle fois si elle était accompagnée, elle répondit simplement : « Plus maintenant. »

Puis elle rajouta : « Je pense que j’ai fait un malaise vagal, cela m’arrive souvent ces derniers temps. Il n’y a pas de quoi s’inquiéter. Merci. Vous pouvez me laisser maintenant, cela va aller je vous assure ! »

Elle voulait qu’ils partent et qu’ils la laissent seule avec sa honte et sa tristesse.

Après quelques derniers échanges entre eux, les trois étrangers décidèrent de ne pas l’emmener à l’infirmerie ni de contacter la police de l’aéroport. Ils conseillèrent tout de même à Manon de boire de l’eau et de reprendre bien ses esprits avant de partir, puis, s’éloignèrent.

Une fois partis, Manon ouvrit son sac en bandoulière pour y chercher son portable. Il n’avait pas essayé de la joindre : pas de message, pas d’appel. Une boule commença à monter dans sa gorge puis des larmes commencèrent à lui troubler les yeux avant de couler doucement sur son visage.

Comment en était-elle arrivée là ? Comment cette surprise qu’elle avait mis tant d’amour à organiser avait-elle viré à ce cauchemar ? Manon occulta le brouhaha autour d’elle et laissa son esprit faire un bond dans le temps.  

C’était il y a deux mois de cela qu’elle avait eu cette idée de voyage surprise et cela faisait déjà bien six mois que le vent avait tourné dans leur relation. Simon enchaînait depuis les reproches et les scènes de jalousie. C’était aussi la période où il avait levé la main sur elle pour la première fois.

Il lui avait d’abord reproché sa manière de s’habiller pour aller au travail : trop court, trop moulant, trop décolleté. Puis sa manière de s’habiller ne lui convenait plus non plus quand elle sortait les vendredis ou samedis soirs avec Géraldine. Il avait d’ailleurs insulté Géraldine de « pute » à plusieurs reprises soi-disant pour sa manière de se fringuer, de rire et de se tenir. Et c’est un soir en rentrant plus tard que prévu qu’il l’avait cognée. Le lendemain au réveil, il avait justifié son acte par son inquiétude et qu’il ne voulait pas que sa femme traîne la nuit dans la rue. Qu’elle n’était pas une pute, elle.

« Sa femme » murmura Manon pour elle-même. Ils n’étaient même pas mariés !

Puis vinrent les engueulades les soirs de semaine quand elle ne rentrait pas tout de suite à la maison après le travail. Il lui avait alors suggéré qu’elle soit toujours présente quand il rentrait lui du boulot, ainsi ils pourraient passer plus de temps ensemble. « Du temps de qualité au quotidien » lui avait-il promis. Le mois dernier il était allé même plus loin en lui demandant d’arrêter de travailler car il considérait qu’avec son seul salaire il pouvait subvenir amplement à leurs besoins.

Puis, il y avait quinze jours de cela, sans aucune raison valable, il avait décidé de nettoyer son répertoire téléphonique des noms d’hommes qu’il ne connaissait pas. Juste le temps qu’elle passe sous la douche un dimanche matin. Elle était revenue dans la chambre et l’avait vu avec son portable à la main allongé sur le lit et lui avait demandé naïvement ce qu’il était en train de faire : « Je fais du tri dans ton répertoire ma chérie » lui avait-il calmement répliqué sans l’ombre d’une hésitation.

Elle avait cédé. A tout.

Elle avait dû aller faire du shopping pour s’acheter des tailleurs amples, des chemisiers sans décolletés et des t-shirts sans formes. Elle avait dû arrêter le sport, le cinéma, les verres entre collègues après le travail et même les arrêts à la bibliothèque pour rentrer plus tôt. Concernant son emploi elle avait négocié un temps partiel auprès de lui d’abord, puis auprès de son employeur. Elle s’était excusée à chaque retard, à chaque contradiction, avait ralenti les sorties et laissé les minijupes au placard.

Cela n’avait pas suffi…

*****

La suite la semaine prochaine :)!

Carnets d’une plume

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