Se raconter des histoires

Il y a quelques semaines j’ai regardé la série Apple Cider Vinegar sur Netflix. Le pitch de la série m’intriguait : comment une jeune femme si jeune avait pu mentir à des millions de personnes sur les réseaux sociaux sur sa santé (et les remèdes qu’elle utilisait) tout en gagnant des millions ?

Eh bien c’est possible. Une australienne, Annabelle Nathalie Gibson, a utilisé les réseaux sociaux pour construire sa fortune sur une histoire complètement fausse : avoir guéri du cancer du cerveau sans la moindre chimiothérapie, soi-disant en ne mangeant et buvant que des produits sains. Elle a entraîné avec elle des millions de personnes sur ce mode de vie, et a influencé des milliers de personnes malades à abandonner leurs traitements contre le cancer… Et la série montre qu’elle n’était pas la pionnière en la matière, sauf que l’autre personne, Milla Blake (bloggeuse/influenceuse), avait réellement un cancer et a cru, à sa propre perte, pouvoir se soigner grâce à des manières dites naturelles vendus par des gurus du bien-être.

Ce qui me dérange et que je trouve sidérant dans cette histoire, c’est qu’une personne sortie de nulle part, a pu, sans preuves à l’appui dire et montrer qu’elle était malade, faire la publicité de ses pseudos traitements pour gagner énormément d’argent et pendant des années. Et plus hallucinant encore : des millions de gens l’ont cru sans autre discernement ou questionnement (notamment, l’entreprise Apple). La « magie » des réseaux sociaux où tout le monde peut être spécialiste de ce qu’il souhaite – sans expertise – au dépend de millions de gens (un peu naïfs?) …

Pour être aussi convaincante, peut-être qu’elle croyait elle-même à cette histoire qu’elle racontait à ses followers à longueur de journées?

Pourquoi dire que l’on est malade si l’on ne l’est pas ? Est-ce que c’est un effet de l’esprit sur le corps où à force de se le dire on le devient véritablement? Ou du moins on croit percevoir les symptômes d’une maladie ?

Et pourquoi alors vouloir le partager avec le monde entier ? Un besoin irrépressible de compassion ? De vouloir être reconnue ? Entendue ? Aimée? Mais sur la base d’un mensonge ? Pourquoi ? Car tout mensonge se retourne contre soi un moment donné ou un autre. C’est d’ailleurs ce qui lui est arrivé, cela a été long et compliqué, mais c’est arrivé.

La vérité éclate toujours, surtout lorsqu’il s’agit d’un sujet comme la maladie : les maladies sont détectées grâce à des procédures scientifiques, à partir d’examens précis suivis de diagnostics tout aussi précis. Pas de preuve? Pas de maladie. Et croyez-moi, je suis passée par là…

J’ai grandi avec une mère qui s’inventait une nouvelle maladie toutes les semaines (j’exagère à peine). En tant qu’enfant, les premiers temps, on croit ce que l’on nous dit, on est triste et surtout on a peur.

« Comment je vais faire si maman meurt ? Qui je dois appeler si elle a besoin d’aide ? »

Le même processus se répétant sur plusieurs mois, j’ai fini par arrêter d’être intéressée, de donner de l’attention. N’ayant plus de spectatrice, elle passait alors son temps au téléphone à raconter ce qui lui arrivait et à rassurer ses auditeurs « que cela irait », « qu’elle se soignait ». Le téléphone filaire, l’ancêtre des réseaux sociaux.

Ayant vécu seule pendant de nombreuses années avec elle, j’ai développé un certain sens de la justice et de la vérité à n’importe quel prix. Il fallait que je sois son opposée. La vérité m’obsédait. Je souhaitais devenir journaliste pour dire la vérité aux gens, pour dévoiler les véritables intentions de personnes de pouvoir ou de gouvernements. Je rêvais que les secrets de famille éclatent au grand jour, qu’il n’y ait plus de non-dits, pour que tout le monde sache. Car derrière cela, ma mère me disait de ne rien dire à personne de ce que l’on vivait… Jusqu’au jour où j’ai commencé à parler à mes grands-parents, à mes oncles et que je n’ai pas été crue, entendue. Où la vérité n’avait pas provoqué l’aide que j’espérais tant à ce moment-là, par ces personnes qui se disaient être ma famille.

Le temps est passé, j’ai grandi, j’ai abandonné l’idée de devenir journaliste (et tant mieux en voyant ce que le journalisme est devenu aujourd’hui) mais j’ai toujours ce truc qui me tord le bide lorsqu’on me ment.

Mais je me suis aperçue que mentir était plus complexe que ce que je pensais. Ce n’est pas tout noir ou tout blanc, c’est comme dire la vérité. Hormis tout sujet vérifié par des faits et recoupés avec des sources réelles et objectives, la vérité est plurielle. Et avouons-le, nous mentons tous, tous les jours, à différents niveaux. Sinon, nous ne pourrions pas vivre en société.

Chaque personne détient sa propre vérité. Chaque personne se raconte des histoires à longueur de journées. Ces histoires engendrent une perception de soi qui peut ne pas être perceptible par les autres (confiance en soi par exemple) et qui amènent à des réalités différentes pour chacun. Et dans certaines situations cela peut créer un sacré bordel lorsque l’on ne détient pas tous les éléments d’une vérité qui semble à première vue, commune. Et ce bordel, nous devons le gérer au quotidien dans nos relations si l’on souhaite éviter des conflits, des incompréhensions, de l’isolement, des ruptures.

Il y a quelques années, un thérapeute m’avait dit: « Nous sommes le fruit des histoires que nous nous racontons et cela détermine en grande partie notre relation avec nous-même et avec les autres ». Je pense qu’il avait raison. Lors de cette séance il m’avait demandé comment je me parlais au quotidien. Et quand j’ai partagé les mots que j’utilisais, il m’a demandé de les modifier et de voir ce que cela pouvait m’apporter. Donc quand j’ai arrêté de m’insulter pour un oui ou pour un non, que j’ai changé mon langage envers moi-même, la tristesse et les angoisses que je portais ont disparu petit à petit. Et par ricochet, mes relations avec les autres se sont améliorées. Ce n’est pas magique, mais c’est un bon remède.

Les réseaux sociaux sont le parfait canal pour raconter des histoires. Il est de plus en plus difficile de faire la part du vrai ou du faux, croire qui et dans quel but. Les algorithmes sont biaisés et ne sont plus contrôlés (pourquoi existe-t-il un feed avec des posts donnant des conseils pour se suicider sur TikTok? ). L’IA transforme les contenus et les recettes miracles au bien-être sont devenues infinies et soi-disant atteignables pour tout le monde.

Donc, comme à l’école, il faut reprendre les bases : qui dit quoi, possède quelle formation et dans quel but? Le but est souvent le même: l’argent. Et certain.e.s sont prêt.e.s à tout…

Faisons attention à ce que nous regardons et lisons. Et faisons attention à ce que nous nous racontons. Nos histoires nous impactent à tous les niveaux et les conséquences pourraient être désastreuses, pour nous et notre entourage.

3 commentaires sur “Se raconter des histoires

  1. Il y avait une telle femme aux États-Unis, Elizabeth Holmes, devenue brièvement milliardaire à cause d’une machine qu’elle était censée avoir inventé pour faire des tests de sang avec seulement les plus petites prises. C’était tout un escroc, mais beaucoup de monde voulaient y croire, car ça aurait été merveilleux pour tant de raisons. De nos jours, elle est en faillite (et prison) et beaucoup de monde ont perdu leurs boulots. Si quelque chose a l’air trop incroyable, il l’est probablement.

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