American Dirt, de Jeanine Cummins

Dans mon quartier, il y a une cabine téléphonique qui a été recyclée en mini bibliothèque d’échanges de livres. J’y dépose de temps en temps des livres et j’en récupère certains quand ils me tapent dans l’œil. American Dirt, de Jeanine Cummins fait partie de cette dernière catégorie.

Quand j’ai commencé à le lire pour la première fois, je n’ai pas accroché : rien à voir avec ce que j’ai l’habitude de lire. Mais il y a quelques semaines, je suis tombée sur un article listant les livres désormais censurés aux Etats-Unis au niveau fédéral ou local, et comme il en faisait partie, j’ai voulu comprendre pourquoi et j’ai recommencé ma lecture.

Ce roman relate l’histoire d’une femme, Lydia, d’une trentaine d’années vivant à Acapulco. Elle est libraire, son mari Sébastian est journaliste et ils ont un fils de 8 ans, Luca. Son mari enquête sur le cartel qui sévit où ils habitent et décide de publier un article sur la tête pensante de ce réseau qui s’avère être un très bon client érudit de la librairie de Lydia. Suite à la publication de cet article, la famille entière de Lydia est assassinée par le cartel lors d’une fête de famille. Alors commence pour elle et son fils, leur fuite vers el Norte, les Etats-Unis, où ils devront rejoindre le flot de migrants provenant eux, de toute l’Amérique du Sud. Ils devront voyager sur le redoutable train nommé Bestia, seront dépouillés par des policiers corrompus et menacés par des tueurs chaque jour de leur traversée. Vols, kidnappings, viols, faim, soif, feront partie de leurs peurs quotidiennes qu’ils devront dépasser pour pouvoir survivre.

Lire ce livre, comme vous vous en doutez, n’est pas une partie de plaisir, mais on le fait car on est tout simplement happé par son histoire. L’écriture est fluide, pleine de suspense, de détails et d’images qui vous restent, voire vous hantent. Je ne voulais pas le lire le soir afin de préserver mes nuits…

Ce livre est un bijou. Ce livre fait office de lanceur d’alerte. Ce livre est une histoire de l’humanité dans toute sa laideur mais aussi par moment dans toute sa splendeur.

Il fait appel à des émotions terribles, auxquelles nous ne sommes plus habituées, sûrement à cause de cette banalisation de la cruauté que nous voyons tous les jours sur nos réseaux sociaux et dans les médias. On s’habitue à tout. Mais le lire fait appel à notre imagination, qui elle n’a pas de limites…

Ce livre fait appel à notre empathie et nous fait prendre conscience du confort de vie dans lequel nous vivons, nous privilégiés, bien assis dans nos appartements et maisons, frigos remplis, un travail où aller, quelques sous à la banque et surtout blancs et intégrés.

Les médias nous parlent du problème de l’immigration (illégale) comme étant un problème politique pour les pays d’accueil, avant de nous parler du problème moral et humanitaire et les raisons pour lesquelles toutes ces personnes quittent leurs foyers. Si j’étais en danger de mort, si mon pays était en guerre, et surtout si j’avais les moyens, mais bien sûr que je partirais me réfugier dans un autre pays, pas vous ? Et ce livre, c’est l’une de ces histoires.

Ce que l’on oublie un peu trop souvent c’est que les personnes ayant la chance d’arriver dans nos pays développés sont pour la grande majorité des personnes éduquées et pouvant se payer le voyage, c’est le cas de Lydia et de son fils. Ce ne sont pas les pauvres qui peuvent venir, ces derniers restent subir car ils ont juste les moyens de rester chez eux. Les différentes traversées autour de ce globe coûtent beaucoup plus chères qu’un billet en première classe d’une quelconque compagnie aérienne. On occulte également les nombreuses étapes et traumatismes vécus durant ces périlleux voyages, les femmes notamment, dont l’autrice met en avant dans son roman. Si ce n’est pas pour survivre, personne n’aurait l’idée d’entamer ce voyage. Et surtout pas une femme seule.

En termes de politiques migratoires, l’état du monde n’allant pas dans le bon sens, je suis affligée de lire les accords que les pays développés ont commencé à conclure avec l’Albanie, le Rwanda ou encore le Salvador pour envoyer les demandeurs d’asiles dans des camps spécialement construits pour eux. Serait-ce là, la démocratisation de la traite humaine? Devons-nous aussi rappeler quelle est la responsabilité du monde occidental dans ces flux migratoires ? Entre passé colonial, vente d’armes et ingérences politiques, sa responsabilité est pleine et entière dans ce désastre humanitaire.

Sur un autre sujet, la sortie de ce livre a été controversée car l’autrice a été attaquée pour appropriation culturelle à but lucratif. Pourquoi une blanche américaine se permet-elle d’écrire sur des migrants mexicains faisant la route vers les Etats-Unis ? Quelle en est sa légitimité ? 

Je ne comprends pas pourquoi de tels scandales ont eu lieu lors de la sortie de son livre… Car même si elle-même n’est pas une migrante, de couleur, sans papiers, elle est de par son métier écrivaine, a passé des années à se documenter pour écrire ce livre qui doit être un sujet qui la touche et qui l’intéresse. Ses mots ne sont pas sortis de son chapeau, et l’écriture s’en ressent. Elle n’a pas écrit un documentaire, elle a écrit un roman. Et pour rendre un roman réaliste et cohérent, chaque auteur/trice se doit de se documenter pour écrire, peu importe la couleur de leur peau ou leurs origines culturelles. C’est leur travail. Comme le font les journalistes. Peut-être c’est cette légitimité là qu’elle n’avait pas: elle n’était pas journaliste.

Si son livre a tellement dérangé à sa sortie et est actuellement censuré aux Etats-Unis c’est qu’il a un impact. C’est qu’il dit une vérité. De multiples vérités qui dérangent et qui pourraient faire prendre conscience des politiques gouvernementales des Etats-Unis et du Mexique sur les réalités de l’immigration. Une vérité qui pourrait monter une population contre son gouvernement pour faire arrêter ce carnage que des centaines de sud-américains subissent pour tenter de vivre une vie meilleure loin de chez eux.

Pour toutes ces raisons, lisez-le. Et si vous avez l’opportunité de le mettre dans les mains d’une personne penchant dangereusement vers l’extrême droite ou ayant des propos racistes, faites-le. Sait-on-jamais, l’empathie pourrait de nouveau sauver des vies ou du moins, la rendre moins difficile.

A l’heure actuelle, plus de 10’000 ouvrages sont censurés aux Etats-Unis. Nous n’aurions pas assez d’une vie pour les lire tous, mais quelques-uns, comme American Dirt, valent vraiment la peine d’être lus.

Vous me direz?

3 commentaires sur “American Dirt, de Jeanine Cummins

  1. Je n’ai jamais entendu parler de ce roman, qui a l’air dense et dur. Mais ça m’a donné envie de le découvrir et d’aller aussi jeter un œil à tous ces titres censurés – j’ai du mal à comprendre la censure en général – ces ouvrages sont une mine d’or pour le monde et devraient être lus, pour la plupart, par le plus grand nombre. C’est vouloir effacer une partie de nos histoires communes.

    Merci pour ton partage!

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